Servir l'absinthe fait partie de tout un rituel qui dénote un certain art de vivre. En effet, il faut "étonner son absinthe" en laissant tomber l'eau goutte à goutte sur le sucre posé sur la cuillère en métal. Le sucre se désagrège, et l'eau peut enfin s'accélérer en fin filet et "battre l'Absinthe" jusqu'à mixtion complète, véritable alchimie entre l'eau et les essences de plantes. Le tour de main nécessaire pour réussir cette opération délicate demande un long entraînement. Il ne peut s'acquérir à la première Absinthe!
Le café, plus encore qu'aujourd'hui, est le port d'ancrage où; l'on a ses habitudes, où; l'on étanche sa misère et sa solitude. A l'heure verte, dans sa chaude ambiance et devant l'Absinthe
servie, artistes et écrivains dévoilent leur talent : Celui-ci dure le temps d'une ivresse, ou, du fond de la Bohême se dresse pour défier la postérité. Tous les cafés, petits ou grands, du
Quartier Latin à Montmartre, en passant par les grands boulevards, ont vu s'asseoir la plupart des grands noms de la Littérature et des
Arts.
Rite social par excellence, les conversations s'animent devant les volutes opalines et irisées qui s'élèvent lentement dans le verre, les effluves subtiles s'échappent et la puissante odeur de
l'anis libéré emplit soudain tout l'espace. C'est là que modestement, ces artistes échangent avec le patron, mécène au grand cœur, un repas ou une Absinthe contre quelques vers une étoile dont
personne ne veut.
L'Absinthe inspire les poètes
Verlaine et Rimbaud, les peintres Manet, Degas, Van Gogh ... En échange, ils lui font traverser l'éternité : La Muse devient mythe. Les Artistes vivent l'Absinthe. Fille moderne, excitante et
provocatrice, elle trouble et envoûte. Elle entraîne les buveurs dans les rêves les plus insensés et lorsqu'ils ont du génie, qu'ils s'appellent Verlaine ou Rimbaud ils savent trouver les mots
qu'il faut pour parler de leur petite muse aux yeux verts.
Quand ils s'appellent Manet, Degas, Van Gogh, Toulouse Lautrec, ou Picasso, l'Absinthe est présente. Actrice principale de leurs toiles, elle gêne la bourgeoise bien pensante de l'époque qui
rejette, en bloc, toute représentation d'une vérité trop crue. C'est le cas pour Manet qui se voit refuser son "Buveur d'Absinthe" à la sélection des toiles pour l'exposition de 1859. De même
Degas et son tableau « l’Absinthe » en 1876.Avec tous ces grands noms prestigieux accrochés à sa robe, comment la fée verte ne traverserait-elle pas les siècles? Toujours vivante comme
le sont les légendes, elle n'a pas perdu son pouvoir inspirateur qui a lentement construit son mythe.
A partir de 1860, ayant atteint le milieu ouvrier, l'Absinthe devient "boisson nationale" et symbole de l'alcoolisme. Bouc émissaire, la fée verte devient le "péril vert", elle hante les
imaginaires et devient une muse mythique parée des voiles de l'interdit.